André Franquin

1 ouvrage paru chez Magnard

Né en Belgique en 1924 et mort en 1997, Franquin compte parmi les plus grand auteurs de BD franco-belges. Dans les années 40 et 50, la presse hebdomadaire BD jeunesse est dominée par les BD réalistes ou semi-réalistes du journal Tintin et celles, plus humoristiques et moins « léchées », du journal Spirou. Franquin est de ceux-là, mais il travaillera aussi pour l’autre support (signant Modeste et Pompon pour Tintin de 1955 à 1959). En 1946, il reprend les aventures de Spirou et Fantasio dont il dessine 22 épisodes, de 1947 à 1968. C’est dans le cadre de cette série qu’il crée des personnages voués à la postérité : le Comte de Champignac (1950), le Marsupilami (1952) et Gaston Lagaffe qui glisse en 1957 ses espadrilles dans les pages du magazine à la recherche d’un emploi et dont les mésaventures comptent 16 recueils.

Sans qu’on s’en aperçoive, Franquin jette très tôt les bases d’un univers grinçant. Peu à peu, l’envie de changer d’air passe par l’arrêt de la série en 1968. Peu après, Franquin laisse jaillir ici et là les têtes de quelques monstres « pour le plaisir de la grimace ». En 1979, l’album Cauchemarrant (jeu de mots de Franquin très révélateur) révèle, avec 72 créations délibérément hideuses, ce talent caché pour les figures… défigurées ! Fort du succès de ces créatures, « Un monstre par semaine » devient même une rubrique régulière dans le journal Spirou.

En 1981, l’album des Idées noires, futur best-seller des éditions Audie, rend hommage à ces tentatives de sortir la BD non pas de l’ornière jeunesse, mais des chemins trop bien tracés.

Si Franquin se rebelle, se révolte par rapport à lui-même d’abord, il n’en vient pas à tout rejeter. À bien y regarder, l’auteur respecte dans les Idées noires le format Gaston Lagaffe : la planche gag en 4 bandes régulières, aux cases bien encadrées, avec effet de chute dans la dernière case (contenant dévoilement, révélation, jeu de mots…). Après quelques strips et demi-planches, le temps de se lancer, le « 3 bandes » et le plus souvent le « 4 bandes » dominent. L’originalité de l’œuvre est ailleurs et se définit en trois points : pas de héros récurrent, des thèmes sociétaux avec forte prise de position personnelle et un graphisme très particulier.

Les héros sont en effet très changeants, cependant des cibles privilégiées se détachent : les chasseurs, les militaires, les bourreaux… bref, les catégories d’individus liées aux idées engagées que Franquin défend à présent. L’auteur persiste, signe (voir d’ailleurs les signatures certes ludiques mais d’autant plus visibles au bas des planches) et s’impose presque physiquement puisqu’il se caricature en couverture de l’album. C’est le temps des humeurs, les mauvaises bien entendu : justice (peine de mort), consommation, religion, éducation, militarisation… tout y passe. Anticléricale, antimilitariste, anticapitaliste, transgressive, l’inspiration est également pessimiste, cruelle, morbide même, parce que désenchantée, voire dépressive. Humour oui, mais humour noir. Il ne manque dans ces pages aucune des peurs ancestrales de l’être humain : des loups aux vampires, des monstres nocturnes à la mort si quotidienne, sans parler des frayeurs plus modernes (l’atome, l’industrialisation, la pollution), tout y est. Du coup, le dessin ne fait plus le dos rond même si les gros nez sont bien là. Le trait s’affûte, s’énerve, les ombres, hachures et aplats noirâtres se font la part belle, et l’absence totale de couleurs achève de donner une mine d’enterrement à son crayon !

La maturité de l’œuvre est telle qu’elle rejaillira sur les autres : Gaston Lagaffe ne sera plus le même ensuite ! Le gentil dessinateur pour gosses intéresse désormais les ados, les adultes et les organismes humanitaires : Franquin dessine alors des dessins ou des planches engagées pour l’UNICEF, Greenpeace ou Amnesty International car le monde tel qu’il est n’est pas ce qu’il devrait être et a de quoi tous les jours fournir sans sourciller ses idées les plus noires… « Je n’aime pas beaucoup les uniformes, ni les engins de guerre, ni les maquettes à croix gammée et j’ai pris position contre les censures, contre la peine de mort et contre le recours à la torture. Il y a quand même un minimum de choses à dénoncer et d’autres à défendre même quand on dessine des petites plaisanteries ! » Franquin disparaît en 1997, mais pas son Gaston tout fou et loufoque, ni ses idées noires, si éclairantes quelquefois.

Ouvrages parus chez Magnard